A+287 Practices of Change
Décembre 2020 Janvier 2021
Édito
Lisa De Visscher (A+) Roeland Dudal (Architecture Workroom Brussels)
Cher David,
Tu me demandes ce que les architectes devraient faire face à l’inéluctable catastrophe environnementale qui nous attend. Face aux inégalités sociales. À la pauvreté. À la dégradation des ressources de notre planète. Face à la pandémie qui nous a contraints dans un mode de vie indescriptible presque surréaliste.
Mon cher David, voici ma réponse : rien ! *
C’est par ce préambule provocateur que Jacques Herzog entame une lettre à David Chipperfield récemment publiée dans Domus. Il y défend la position plutôt cynique selon laquelle les architectes n’ont rien à apporter au changement de société. Considérés comme de simples exécutant de leurs clients, les architectes en seraient réduits à adapter leur pratique aux « signes du temps ». En tant que protagoniste de « the age of the starchitect », cette provocante contribution au débat semble faire jubiler Jacques Herzog. L’impact réel sur la société de sa pratique architecturale – marquée par la réussite – ne semble pas vraiment lui donner beaucoup de souci.
Ces dernières décennies, l’Architecture avec un grand « A » a été dominée par l’esthétique de l’environnement construit, souvent au service d’un système économique axé sur le gain et ne faisant pas grand cas du volet sociétal. Entre-temps, on constate toutefois un changement notable des mentalités au niveau international. C’est ce qui est ressorti l’an dernier de la Triennale d’Oslo, qui était placée sous le signe de la Décroissance, et de la Triennale de Lisbonne, dont le commissaire était Sébastien Marot. Déjà en 2016, la Biennale de Venise avait mis en évidence la dimension socio-politique de l’architecture avec « Reporting from the front ». En l’occurrence, il ne s’agissait pas de l’esthétique de l’architecture en soi, mais de son impact et de la manière de le mettre en œuvre.
En Belgique aussi, on voit que les architectes ne se limitent plus à formuler la réponse la plus créative et efficace possible aux missions qui leur sont soumises. De plus en plus de concepteurs sont impliqués dans la création de processus qui remettent en question la demande ou impliquent activement l’utilisateur final dans la définition de la demande initiale. La recherche par le projet et la co-création permettent aux acteurs concernés de voir ce qui est possible : environnements mêlant habitat et production, établissements de soin où le patient occupe la place centrale, occupation temporaire d’immeubles à l’abandon réinsufflant de la vie à un quartier, voiries dont le revêtement est rendu perméable pour une meilleure gestion de l’eau et de la végétation, ou paysages urbains donnant une place aux éoliennes et aux bassins d’orage.
« Il existe aujourd’hui une merveilleuse occasion d’utiliser l’aménagement de l’espace comme levier d’accélération des transitions sociales, écrivent Hanne Mangelschots et Serafina Van Godtsenhove dans leur préambule. C’est pourquoi nous avons besoin d’une pratique architecturale qui soit un moteur de changement plutôt qu’une pratique qui s’adapte au changement ».
Plusieurs bureaux poussent la démarche plus loin en intégrant le changement dans leur propre sein. C’est ainsi que pour répondre au besoin d’une économie circulaire, Rotor DC crée de sa propre initiative un nouveau rôle et un nouveau marché dédié au démantèlement d’éléments de construction. RE-ST, pour sa part, s’appuie sur une vision affûtée de l’environnement bâti inefficace pour développer une pratique de « non-construction ». Et pour finir, Miss Miyagi, en spécialiste d’une approche alternative à la promotion immobilière, relie par des idées originales le patrimoine non défini et de nouveaux propriétaires coopératifs.
Dans ces processus de changement sociétal, les concepteurs peuvent faire office de leviers. Ce hors-série de la revue A+ montre comment. Par exemple, dans les Tuinen van Stene de Technum-Tractebel et Maat-ontwerpers, quelque 35 ha de polders en périphérie d’Ostende sont devenus des terres agricoles protégées parce qu’elles servent en même temps de parc pour la ville. Dans le district énergétique d’Eeklo, dans le cadre de l’atelier IABR Oost-Vlaams Kerngebied, PlusOffice montre comment aborder la problématique de l’énergie à l’échelle d’un quartier. Zinneke à Bruxelles et De Schuur, de Timelab, sont quant à eux conçus suivant le modèle de The Commons pour permettre de créer de nouveaux emplois et de nouveaux talents. Et enfin, au Redingenhof, 51N4E prend en main l’aménagement et la gestion d’une nouvelle « rue à vivre » en multipliant les revêtements perméables. La pratique du changement est un appel lancé aux créateurs et concepteurs d’espaces pour qu’au lieu d’attendre qu’on leur confie de nouvelles missions, ils prennent les devants pour repenser les choses, les pétrir, les déclencher. La pratique architecturale est-elle prête à cela ? La réponse est : oui !
* pour lire l’intégralité de la lettre (en anglais), rendez-vous sur : https://www.domusweb.it/en/architecture/2020/10/13/jacques-herzog-letter-from-basel.html (également disponible en italien)
Sommaire
Editorial
Lisa De Visscher and Roeland Dudal
Subjects
Building bridges: designing processes for acceleration Hanne Mangelschots and Serafina Van Godtsenhoven
‘Commons’ to change the city Nathalie Cobbaut
Rediscovering sustainable commissioning Michiel Van Balen
New governance strategies for urban design Sigita Simona Paplauskaite
Round-table discussion
‘We need to set the agenda for what is being built’ Lisa De Visscher
Projects
BC Architects and Studies, Circular and modular production hall, Brussels Véronique Patteuw
OUEST – Rotor DC, ZINNEKE, Brussels Jolien Naeyaert
a2o architecten, Timelab, Ghent Birgit Cleppe
NU architectuuratelier, Centers, Antwerp Bart Tritsmans
51N4E – Plant- en Houtgoed, Redingenhof, Leuven Guillaume Vanneste
Atelier Oost-Vlaams Kerngebied, Eeklo – Lievegem – Merelbeke Nik Naudts and Carmen Van Maercke
Tractebel – Maat-ontwerpers, Tuinen van Stene, Ostend Stefan Devoldere
Vlaamse Landmaatschappij, Water + Land + Schap Pieter T’Jonck
Osar – Astor, Klein Veldekens, Geel Gideon Boie
Dethier Architectures, HOSOMI, Outrewarche Pauline Malras
Stéphane Beel – BLAF – DENC!, De Nieuwe Dokken, Ghent Chloë Raemdonck
CONIX RDBM Architects – Rotor DC, MULTI Tower, Brussels Eline Dehullu
En collaboration avec Architecture Workroom Brussels
Book Launch
Lors de ce book launch virtuel, A+ Architecture in Belgium et Architecture Workroom Brussels vous présentent le dernier hors-série de la revue, A+287 Practices of Change. Nous nous sommes entretenus avec Lisa De Visscher (A+), Roeland Dudal et Joachim Declerck (AWB), Maarten Gielen (Rotor), Tim Devos (Endeavour) et Veronique Patteeuw (ENSAP Lille, EPFL, KULeuven, OASE) sur la thématique de la pratique du changement. Le débat a été diffusé en direct depuis Stadsform à Anvers sur notre page Facebook. Plus d’infos.