Publié le 07.10.2021

Voici quelques années, A+266 abordait avec beaucoup d’enthousiasme les nouvelles formes d’habitat et de travail – ou la confusion des deux – qui ont vu le jour avec l’avènement des espaces de co-working et du télétravail. Cet enthousiasme était peut-être un peu prématuré (mea culpa) ? En une introduction et six chapitres avec des contributions de différents auteurs, le livre « Platform Urbanism and Its discontents » étudie l’impact sur la société urbaine des « plates-formes » disruptives de tous acabits, allant des espaces de co-working aux services de taxis et coursiers. Cet ouvrage est en même temps un guide pour « Platform Austria », la contribution particulièrement forte de l’Autriche à la Biennale d’architecture de Venise. Celle-ci remet sérieusement en question l’optimisme d’Hashim Sarkis, le commissaire de l’exposition principale « How will we live together? ».

Dans l’introduction musclée de cet ouvrage, les rédacteurs Peter Mörtenböck et Helge Mooshammer (Centre for Global Architecture) expliquent ce qu’on peut entendre par « platform urbanism » et en quoi cette évolution est si problématique. Les plates-formes offrent une série de services pouvant prendre toutes les formes imaginables, de la livraison de repas à l’enseignement, à la planification de carrière voire aux services affectifs. Elles n’opèrent toutefois pas par pure philanthropie : il faut avant tout y avoir accès, généralement en payant ou en communiquant ses données. Tous ces services reposent sur une conjonction complexe de logistique, de technologie numérique et d’infrastructures, mais ce qui frappe, c’est que les utilisateurs ne s’en rendent presque pas compte. Jusqu’au moment où, pour une raison quelconque, ils sont exclus du club des élus…

Les entreprises qui élaborent ce genre de systèmes le font évidemment dans un but lucratif. En soi, ce n’est pas problématique. En revanche, ce qui pose problème, c’est que pour aboutir à leurs fins, elles dérèglent de plus en plus les rouages de la société tels qu’on la connaissait jusqu’ici en la réduisant à des clauses et paramètres pertinents pour leur business-model, mais qui sont souvent une caricature de la complexité réelle d’une société humaine. L’ironie est qu’elles se font généralement passer pour des altruistes, voire des philanthropes, grâce à qui les gens peuvent « partager » et « communiquer ». On en viendrait presque à croire que grâce à elles, une société plus égalitaire et plus ouverte est à portée de main. Par des analyses aiguisées, les auteurs démontrent que c’est l’inverse : ces entreprises jouent sur une impulsion utopique de la société pour atteindre exactement le contraire.

Et si les conséquences en termes de tissu social urbain sont déjà disruptives, l’impact sur la ville concrète, construite, est encore moins attrayant. Les auteurs démontrent qu’une économie de plate-forme mène à des villes toujours plus homogènes, qui se distinguent de moins en moins les unes des autres. Des villes qui affichent toujours plus du même genre d’architecture-spectacle. L’ouvrage en présente de nombreux exemples éloquents. Ceux qui frissonnaient déjà en entendant des buzz-words tels que « smart cities », etc. découvriront grâce à ce livre que leur malaise n’est pas sans fondement.

L’introduction de Mörteböck et Mooshammer esquisse un cadre puissant permettant de porter un regard critique sur ces évolutions. Pour cela, les auteurs s’appuient sur les idées de centaines d’auteurs critiques de renom, parmi lesquels des pointures telles que Giorgio Agamben, Judith Butler, Jean Baudrillard ou Naomi Klein. L’ouvrage contient par ailleurs de magnifiques contributions, entre autres de Tom Avermaete, Teddy Cruz & Fonna Forman, Vyjayanthi Rao, Saskia Sassen et Slutty Urbanism.

Platform Urbanism and Its Discontents, Peter Mörteböck et Helge Mooshammer (red.), édité par Nai 010 uitgevers, Rotterdam. Paperback 17*24 cm, 480 pages, en anglais. ISBN 978-94-6208-615-9. Prix : € 29,95.

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