Vitriol et colère froide

De 1999 à 2002, Olivier Verdique, jeune architecte très prometteur de Mons (°1965), écrit sous le pseudonyme d’Alvar Le Corvanderpius une série de pamphlets satiriques sur l’univers de l’architecture en Wallonie. Quelques années plus tard, il décède dans des circonstances tragiques, peu après avoir guéri d’un cancer de l’œsophage. Après quelques hésitations, Pierre Hebbelinck a aujourd’hui décidé d’éditer ce texte sous le titre « Anarchitecte » dans la collection « fonds de tiroirs ». Et il a bien fait ! Si certaines des situations totalement absurdes sur lesquelles Olivier Verdique vomissait sa bile appartiennent désormais au passé, en soi, les décideurs continuent d’ignorer royalement ce que les architectes les architectes ont à dire et à faire.
À partir de l’an 2000, au-delà des changements de politique urbanistique qui se sont succédé avec la régularité d’un coucou suisse, le statut de l’architecte a lui aussi évolué en raison de la réglementation européenne applicable aux marchés publics, à la sécurité sur chantier, etc. Olivier Verdique trempe sa plume dans le vitriol pour décrire à quel point ces changements, encore et toujours, se font au détriment des architectes écrasés par un nombre croissant de responsabilités tandis que leur espace de création se réduit comme une peau de chagrin sous l’effet d’une diarrhée de nouvelles réglementations.
Il ridiculise en particulier les pouvoirs publics, dans des passages parfois véritablement truculents. Il analyse par exemple avec précision la façon dont le CWATUP (et toutes ses retombées) a principalement fait le jeu de la culture fermettes des entreprises de construction clé sur porte. L’Ordre et les confrères pas très consciencieux ne sont pas davantage épargnés. Plus d’une fois, j’ai pleuré de rire en lisant sa description de personnages tels que le « fonctionnaire délégué », aujourd’hui heureusement disparus.
Mais le rire s’estompe rapidement. En 2002, Le Corvanderpius écrit une lettre de nouvel an datée de 2012. Il y prévoyait qu’au cours de cette année, les architectes auraient définitivement cédé la place à une armada de coordinateurs en sécurité et autres consultants. Si on n’en est pas là, on peut toutefois rejoindre l’auteur quand il constate que l’architecture occupe effectivement une place de plus en plus marginale dans le secteur de la construction.
En réalité, cette situation perdure depuis qu’un juriste, Victor Bure, a rédigé la première loi d’urbanisme dans les années 1960. L’appel d’Olivier Verdique à mettre enfin de la clarté dans tout cela est hélas toujours d’actualité. On peut toutefois regretter que l’édition présente quelques erreurs esthétiques dérangeantes – notamment les sous-titres qui ont été imprimés comme du texte suivi. Il faudra veiller à remédier à ce problème dans une seconde édition.
‘Anarchitecte’, Olivier Verdique / Alvar Lecorvanderpius, Liège, 2021. ISBN 978-2-930525-24-2. Prix conseillé 15 €.