Publié le 12.09.2023 | Texte: Pieter T'Jonck

Les monographies consacrées aux architectes abondent.  Il n’est pas rare que les architectes eux-mêmes soient en grande partie à la manœuvre, quand ils ne les considèrent pas comme un projet. Cela s’applique très certainement à Built, de Valerio Olgiati. Dans cette magnifique édition, il a déterminé lui-même la sélection et la chronologie des illustrations et des plans.  Il a également été le seul à rédiger les quelques rares textes de l’ouvrage. Il y révèle sa conception de son rôle d’architecte, à savoir être créateur d’expériences et d’images extraordinaires. Le contraste avec la modestie de David Chipperfield dans David Chipperfield Architects/Architektur und Baudetails est flagrant.

Olgiati entame son livre Built par le texte « In this book are my built projects. Photos are at the front and plans at the back. At the end of the book there is information about all projects and photos. I have only selected the few photos from our archive that clearly document my intentions. The specific order of the photos explains the nature of my work ». (Trad. libre : « Ce livre contient mes réalisations. Les informations relatives à l’ensemble des projets et photos se trouvent à la fin de l’ouvrage. J’ai uniquement sélectionné dans nos archives quelques photos qui documentent clairement mes intentions. L’ordre spécifique des photos explique la nature de mon travail. ») Les informations et plans promis sont toutefois très rares : un seul plan par projet, puis une liste de projets avec mention de l’année et des auteurs des photos.

Les photos du livre ne sont pas classées par projet et aucune cohérence thématique claire ne s’en dégage, si ce n’est qu’Olgiati commence par montrer des images de détail de ses bâtiments avant de publier les photos de la construction dans son ensemble. Cela permet de voir comment ses détails mettent l’accent sur la pesanteur, la masse et l’empilement, pour ensuite les renverser avec subtilité, par exemple en terminant de lourdes colonnes par une pointe étroite. On peut également voir comment il utilise (avec parcimonie) la décoration comme « habillage », et généralement le matériau lui-même – avec une préférence pour le béton.

De tout cela, il ressort surtout que cette architecture est quasiment indifférente au programme qui l’accueille. Qu’il s’agisse d’un séjour, d’un atelier, d’un parking ou d’un bureau, l’effet d’espace, de lumière et de masse est comparable. (Étant donné que la pagination du livre disparaît progressivement, cela complique sensiblement l’attribution des photos à un projet spécifique.) Cette architecture revendique aussi très consciemment sa place : les formes épurées tiennent soigneusement l’environnement à distance, en particulier dans un contexte urbain ou villageois désordonné.

C’est ce qui rend Built à la fois intrigant et irritant. Les illustrations montrent qu’Olgiati possède une maîtrise exceptionnelle de la conception, mais la façon dont il veut étonner, en faisant l’impasse sur toute forme d’explication (sans davantage donner la parole à d’autres) trahit qu’il se considère lui-même quasiment comme un visionnaire, un artiste de l’espace. Vanité, quand tu nous tiens… !

David Chipperfield porte un regard très différent sur le rôle des architectes, comme on peut le lire dans une interview de sa monographie. Selon lui, ils ne sont désormais que rarement des « maîtres » ou de génies, ne fût-ce que parce que les missions visant à redessiner une ville en profondeur se sont raréfiées. Les architectes sont souvent de simples prestataires de service, des professionnels. Il est par ailleurs beaucoup plus attentif à l’aspect sociétal que recèle le geste posé par l’architecte. Il s’agit de lieux que les gens utilisent, et c’est sur cela que doit porter la réflexion.  Chipperfield semble également très sensible à l’ancrage historique de l’architecture : ce que « racontent » les bâtiments en continuant à se développer à partir de formes existantes.

Ce dernier point n’est pas surprenant, vu que Chipperfield a réalisé de nombreuses restaurations et rénovations de bâtiments historiques importants tels que la Basilica Palladiana de Vicenza, le Neues Museum de Berlin et la Neue Nationalgalerie, chef-d’œuvre de Mies Van der Rohe, également à Berlin. Tous ces projets – au total 22 – sont parfaitement documentés, non seulement par des plans et des photos, mais aussi par une multitude de détails. Ces derniers, en particulier ceux du projet de la Neue Nationalgalerie, démontrent la méticulosité dont Chipperfield et son équipe font preuve dans leur traitement du patrimoine. Les restaurations sont presque indétectables, quelle que soit leur ampleur. Cette modestie, associée à un grand savoir-faire, est très réconfortante. Cet ouvrage sera indubitablement très utile aux architectes qui se lancent dans des projets complexes et ambitieux.

Built, de Valerio Olgiati, Park Books, Zurich 2023. Relié, 196 pages. ISBN 978-3-03860-283-5. Prix conseillé 38 €.

David Chipperfield Architects/Architektur und Baudetails, Sandra Hofmeister editor, Éditions Detail, Munich, 2022. ISBN : 978-3-95553-584-1. Prix conseillé : 59,9 €.

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