Publié le 11.10.2019 | Texte: Aslı Çiçek

On est lundi et Bozar est fermé. Je suis en train de travailler sur la scénographie de l’exposition sur Constantin Brancusi dans le Circuit Royal. L’accès habituel aux expositions est clos. Je traverse les salles d’exposition situées au premier étage du labyrinthe dessiné par Victor Horta. Un jour comme celui-ci, le bâtiment est généralement un lieu calme : les expositions s’octroient une journée de repos à l’écart des visiteurs, les éclairages sont éteints et on entend uniquement la climatisation souffler. Mais cette fois, d’autres bruits résonnent. Un piano se met à jouer automatiquement et quelques bruits mécaniques – subtiles mais perceptibles en raison de leur rythme – se font entendre.

C’est alors que je prends conscience du fait que je me déplace dans une exposition qui se déroule sans interruption, de jour comme de nuit, jour de fermeture ou non, qu’il y ait quelqu’un ou pas. Chaque salle du circuit, ou presque, est occupée par un objet performatif, fruit de l’étrange rencontre d’une sculpture et d’un robot. Ces objets sont en réalité des maquettes architecturales de projets conçus par le bureau bruxellois BAUKUNST. Une atmosphère paisible règne dans les pièces à peine éclairées. Plus loin dans l’enfilade, un grand caisson lumineux représentant une photo satellite de Bruxelles retient mon regard, je m’en approche. Sur l’image, la ville est immédiatement reconnaissable. Cependant, après un second coup d’œil, on constate que de nombreux points de référence sont manquants. Les bâtiments symboliques ont disparu et la ville s’étend comme un tissu dont le motif serait composé de petits éléments irréguliers. Le collage met l’accent sur le rôle des bâtiments symboliques dans la ville et sur leur absurdité, induite par leur caractère remplaçable.

J’ai le sentiment que cette exposition fonctionne à l’image d’un ensemble interrogeant les moyens divers qu’ont les bâtiments d’exercer une fonction. Parce qu’au-delà du service qu’ils offrent aux utilisateurs, ils sont également soumis à différents éléments tels que la gravité, le climat, la lumière, la ville, le paysage. ‘Baukunst’ fait une distinction entre l’architecture et la construction pure. Le nom du bureau est emprunté à l’allemand, bauen (construire) est un acte qui implique la science, la physique de la construction et la gravité. Mais Baukunst (l’art de construire), que ce soit étymologiquement ou dans la pratique du bureau, suggère également une implication du savoir, de l’imagination, de la proportion, de la matérialité et du sens. Le bureau préfère ne pas parler ou écrire de manière extensive à ce sujet dans l’exposition. Au lieu de cela, l’objectif semble plutôt d’induire un dialogue fortuit entre leurs différents projets, au moyen d’objets performatifs. Même lorsque les salles sont totalement désertes, ces maquettes semblent se parler, elles continuent à bouger tout en réagissant à leur environnement immédiat. Elles agissent à la fois de manière autonome et collective, elles sont là en raison des conditions qu’implique une exposition et malgré celles-ci. Je me demande comment les visiteurs réagissent à cette manière de montrer l’architecture. Le mieux serait de venir le constater le lendemain, pendant les heures d’ouverture de l’exposition, gardant à l’esprit qu’une simple fermeture de portes ne suffirait pas à interrompre son activité.

Remarque : Cet essai fictif se fonde sur une conversation avec Adrien Verschuere, fondateur de Baukunst, en avril 2019, cinq mois avant l’inauguration de l’exposition.

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