Publié le 24.09.2018 | Texte: Lisa De Visscher

Le 2 octobre, en collaboration avec le campus bruxellois de la KUL, A+ et Bozar invitent Caruso St John Architects à donner une conférence à l’occasion de l’inauguration de l’année académique. A+ s’est entretenu avec Adam Caruso à propos de la construction en Belgique et de leurs projets pour la Biennale de Venise.

Lisa De Visscher: Caruso St John Architects est actuellement très présent en Belgique. Vous construisez à Anvers, travaillez à Geel et avez participé à plusieurs concours à Bruxelles, dont l’emblématique concours pour Kanal-Centre Pompidou. Comment ce lien s’est-il établi ?

Adam Caruso: Le lien avec la Belgique existe déjà depuis très longtemps. Pour le projet de logements à Geel, pour lequel nous réalisons actuellement une étude de faisabilité, nous travaillons avec De Smet Vermeulen architecten, un bureau que nous connaissons depuis de nombreuses années et avec qui nous avons déjà collaboré dans le passé. La candidature au concours pour l’ancien garage Citroën appelé à devenir le Kanal-Centre Pompidou, au-delà d’être une évidence – tout bureau qui se respecte a introduit sa candidature –, s’inscrit dans le droit fil de ce que nous faisons, de nos ambitions et de notre expérience des musées. La collaboration avec 51n4e fut excellente parce que nous étions sur la même longueur d’ondes quant au sens à donner à ce site – tant sur le plan architectural et urbanistique que sur la place que ce nouveau centre d’art doit prendre dans le contexte actuel des musées d’art contemporain. Notre équipe a pu réconcilier, peut-être mieux que les autres équipes, les éléments politiques, programmatiques et artistiques afin de proposer une réponse véritablement durable pour intégrer ce projet dans le champ complexe d’acteurs qui, en Belgique, s’occupent à un très haut niveau d’art et d’architecture.

La collaboration avec les bureaux belges est d’ailleurs une évidence. La Belgique connaît actuellement la scène architecturale la plus intéressante d’Europe. Il n’est pas étonnant de voir autant d’architectes belges enseigner aujourd’hui dans des universités de premier plan comme l’ETH à Zurich. À Anvers, où nous avons conçu un nouvel îlot d’habitation à la Falconplein, le processus s’est déroulé différemment. Nous avons constitué une équipe avec Rapp+Rapp, Bovenbouw et ONO architectuur, mais chaque bureau a pris en charge une partie distincte de l’îlot. Dans la première phase, Rapp+Rapp a réalisé le master plan. Nous avons conçu un immeuble d’habitation en L, un « demi-cloître » autour d’un jardin intérieur, avec de profonds balcons en espèce de loggia et une façade en brique avec des colonnes préfabriquées en béton. Plusieurs passages relient le jardin intérieur à la rue. Un des critères du concours était que le bâtiment devait obtenir un niveau « BREAAM outstanding ». Du coup, nous avons prévu une hauteur d’étage de 3,2 mètres qui offre un éclairage naturel de grande qualité. Pour l’instant, le bâtiment en est à la phase « gros œuvre ». Nous venons de faire construire des maquettes de la façade pour tester la maçonnerie et les colonnes en béton.

La recherche sur la façade semble être un facteur récurrent chez vous. Il s’agit à la fois de l’utilisation très fréquente de matériaux minéraux, comme pour la Landesbank à Brême ou les bureaux de l’Europaallee à Zurich, mais aussi de la composition et du rôle que la façade joue dans la ville. La salle que vous avez conçue pour le pavillon de la Biennale au Giardini de Venise en découle-t-elle ?

L’exposition que nous avons faite à Venise comportait uniquement des projets réalisés ou à réaliser. Les plans et photos expriment la confiance que nous inspirait la façade comme élément de lien avec l’environnement bâti immédiat et, par extension, avec la ville. Cette exposition, comme toutes les autres, est également un moment de réflexion sur notre propre travail et nos méthodes. Pour nous, cette exposition clôture une période où le rôle de la façade dans nos projets était très clair.

La Landesbank à Brême en est un bel exemple. Le bâtiment se trouve dans une zone sous protection de l’Unesco, sur la place devant la cathédrale. Il y avait jadis un immeuble de bureaux dysfonctionnel des années 1980, mais la plupart des gens pensent que notre bâtiment est là depuis toujours. C’est bien, vu que la façade en briques ondulantes était une initiative osée dans ce contexte historique. Le bâtiment est très présent sur la place, mais par sa façade minérale, il s’intègre parfaitement dans son environnement. Lorsqu’on l’observe sous un certain angle, on ne voit presque plus les vitres et les châssis, ce qui lui donne un aspect très massif. Ce sont seulement des situations très spécifiques et rares qui justifient une façade aussi « musclée ».

Le projet de l’Europaallee à Zurich, lui aussi, possède une façade qui ambitionne essentiellement de générer une qualité urbaine, d’être le visage d’un bâtiment de métropole. Il en résulte que de l’extérieur, il est impossible de voir que plusieurs programmes se cachent derrière la façade, avec à la fois des habitations, des bureaux et des espaces collectifs.

Aujourd’hui, nous voulons à nouveau faire des façades plus honnêtes, à la manière de Kay Fisker au Danemark dans les années 1920 et 1930. Des façades qui ont une relation directe avec le programme et l’organisation du plan. Lorsqu’on construit de l’habitat, cela signifie qu’il faut s’accommoder du fait qu’il y a des balcons, des balustrades et des fenêtres qui s’ouvrent. À l’Europaallee, nous avons dissimulé tous ces éléments. Nous étions davantage obnubilés par le fait de créer la ville que par la construction d’un bon immeuble à appartements.

Le contexte dans lequel nous construisons aujourd’hui n’est pas toujours celui d’une grande ville. Dans le tissu des périphéries aussi, nous voulons créer des façades représentatives du programme.

À la Biennale de Venise, vous étiez également commissaires du pavillon britannique, qui a remporté une mention pour le Lion d’or. Quel en était l’enjeu ?

Nous ne voulions pas réaliser une exposition d’architecture classique, notamment parce que l’époque n’a rien de classique pour la Grande-Bretagne. Nous avons entouré le pavillon britannique d’échafaudages parce que la Grande-Bretagne sort de l’UE… et peut-être de ce monde. D’où également le titre, L’île, avec comme idée sous-jacente qu’une île peut être à la fois un coin de paradis ou une prison. Nous ne voulions pas d’un projet univoque. C’est pourquoi nous avons créé deux espaces : une sorte de radeau, un freespace qui flotte sur le toit du bâtiment, soutenu par les échafaudages, et l’espace du pavillon lui-même. Les deux espaces sont vides, à l’exception d’un petit bar à thé gratuit en toiture.

Nous voulions faire de ce pavillon un lieu où les visiteurs peuvent lire et discuter, où se déroule tout un programme de conférences et de performances. Nous avons également ouvert le pavillon à d’autres pavillons et programmateurs en adressant un courrier à tous les commissaires de la Biennale pour leur proposer d’utiliser notre espace. Cette proposition a surtout recueilli un grand intérêt de la part des pavillons qui n’avaient pas de place à l’intérieur de Giardini, comme, entre autres, Singapour.

Nous avons également contacté plusieurs écoles d’architecture et universités en leur proposant d’utiliser le pavillon en tant qu’atelier pour les summer schools. Dès le départ, cette générosité envers d’autres pays et influences a été un thème central du projet. Le pavillon britannique est construit sur le point culminant de Venise. Depuis le « radeau » sur le toit, on se trouve donc encore plus haut, avec un panorama magnifique sur la lagune. Techniquement, ce projet est d’une simplicité extrême : les échafaudages sont standards, et nous avons laissé l’intérieur du pavillon dans l’état où nous l’avions trouvé. La seule intervention est le motif peint des panneaux en bois de la plate-forme, qui correspond au motif des bancs en bois de l’espace d’exposition que nous avions conçus pour le pavillon de la Biennale, créant ainsi un lien subtil entre deux œuvres à Venise.

Participer à la Biennale de Venise représente un gros investissement. Pourquoi faites-vous cela ?

Bien sûr, on ne le fait pas uniquement par vanité. On est invité par le commissaire, qui est quelqu’un dont on respecte le travail et qui s’entoure d’un groupe de personnes dont on a envie de faire partie. Il ne s’agit pas d’un environnement commercial, comme par exemple le MIPIM ou la remise du prix Stirling. À chaque édition, la Biennale fait émerger la qualité, parvient à initier le débat sur l’architecture, et à présenter des études qui sont sources d’inspiration et aident chacun à progresser dans son travail.

L’inauguration est bien entendu un événement de réseaux, mais on n’y décroche pas de contrats, et c’est très bien ainsi. Ce n’est pas comme la Biennale d’art de Venise, qui est malheureusement devenue une espèce de foire d’art.

Cette année, je me suis rendu compte que je faisais désormais partie de la génération de ceux qui ont leur mot à dire. Un changement de génération s’est opéré. Bien sûr, Peter Zumthor était encore là, ainsi que Norman Foster, qui a réalisé une belle chapelle pour le Vatican, mais pour le reste, après avoir fait la pluie et le beau temps pendant des années, la génération des anciens était absente. Tous les projets marquants étaient l’œuvre des bureaux plus jeunes, issus de notre génération. Personnellement, j’ai beaucoup aimé la succession des espaces à l’intérieur du pavillon de la Biennale : le projet d’advvt avec Gideon Boie, le magnifique espace d’Elizabeth Hatz, et puis nous !

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