Publié le 25.01.2018 | Texte: Charlotte Lheureux

À l’heure où la logique de consommation envahit tous les domaines, des voix s’élèvent. Parmi elles, celle de Gilles Perraudin dénonce un « massacre architectural » : l’habitat est devenu un banal produit de consommation. Mais, comme tout produit de consommation, ne peut-on remettre en cause ses processus de fabrication ? C’est la conviction de l’architecte. Plus, c’est le coeur de son action. A+ et BOZAR l’invitent pour une conférence à Bruxelles le 6 février 2018.

Fasciné par l’architecture vernaculaire, Gilles Perraudin développe sa pratique hors des sentiers battus, à travers une approche qu’il qualifie d’indépendante et d’expérimentale. Son credo : construire une architecture située, dans un monde toujours plus éloigné de ses racines. Le court-circuitage des réseaux officiels ne constitue pas pour autant un objectif en soi : « Pas de vision idéologique chez moi mais un grand pragmatisme. » Un pragmatisme qui le conduit à faire une distinction claire entre approvisionnement local et économie d’énergie. L’usage de matériaux disponibles sur place ne signifie pas nécessairement le respect de l’environnement, et inversement. Gilles Perraudin l’apprend à ses dépens lorsqu’il fait transiter une pierre entre Basse et Haute-Corse pour un bilan carbone plus lourd que celui d’un transport depuis le continent. La différence se joue, certes, dans la distance, mais aussi et surtout dans l’empreinte du matériau lui-même et de ses modes d’acheminement. D’où le penchant de l’architecte pour des matériaux naturels, dont le bilan très faible s’explique par l’absence de transformation. Ces matériaux imprègnent sa production de manière exponentielle depuis 1998, année d’inauguration du chai de Vauvert, où le recours à la pierre massive s’impose comme une évidence.

Pourquoi la pierre ? « La pierre est un matériau que vous pouvez utiliser autant de fois que vous le voulez. Il n’y a pas de recyclage : on la réutilise mais on ne la recycle pas. » Solide et pérenne, la pierre se démonte aussi facilement qu’elle se remonte, sans autre besoin énergétique que celui nécessaire à son déplacement (ou presque). Un réel atout si l’on considère l’évolution ininterrompue de notre société, et l’exigence d’en préserver les ressources. Pour autant, Gilles Perraudin ne voue pas un culte exclusif à la pierre. La terre et le bois font également partie de sa palette, et, dans une moindre mesure, le béton et le métal. Mais en bon pragmatiste, il argue pour leur utilisation raisonnée : à chaque situation son architecture. D’où des constructions aux échelles et aux formes extrêmement diverses. Ainsi les deux volumes spectaculaires de la House of arts de Beirut (dessinée en 2009) ou la structure mixte de l’académie de Herne (réalisée en 1998). Le bois mis en oeuvre dans la seconde, rendu ultra-performant par l’acier, voit sa masse diminuer considérablement, et de même l’empreinte de la construction sur l’environnement. Un calcul à faire…

La pensée voyageant à bilan carbone nul, Gilles Perraudin exporte ses réflexions loin de la métropole. Certains des derniers projets s’implantent en Roumanie, au Liban ou au Maroc, une manière de transmettre son savoir. Car s’il emprunte des chemins de traverse lorsqu’il construit, il n’en fait pas moins lorsqu’il enseigne. Séparé des milieux universitaires depuis 2013, Gilles Perraudin juge ceux-ci inadaptés à la dimension pratique de l’architecture, qu’il considère comme « un métier, et non un savoir scientifique ». Un métier qui nécessite un apprentissage, tel que le proposent les workshops qu’il organise régulièrement. Le dernier en date s’est tenu dans la plaine de la Bekaa au Liban, où des jeunes architectes ont pu mettre la main à la pâte aux côtés du maître. Et c’est inspiré de ses propres maîtres – Louis Kahn, qu’il ne cesse de lire et de visiter, ou André Ravéreau, dont il tient sa passion pour la terre (au sens le plus large du terme) – que Gilles Perraudin poursuit son combat : bâtir. Bâtir pour « représenter le bien commun contre les intérêts privés ».

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