Publié le 07.03.2023 | Texte: Véronique Patteeuw

En 2023, A+ fête ses 50 ans ! A cette occasion, chaque numéro de l’année présentera un aperçu unique de nos riches archives, avec la réédition d’un ancien article en lien avec son thème. Pour le numéro A+300, nous nous sommes replongés dans l’édition A+77 : « Quelle place pour la jeune architecture », de septembre 1982.

Sur la couverture du magazine A+77 de septembre 1982, on peut voir un transat orange dans un jardin verdoyant. Exception faite de quelques fleurs jaunes, le jardin est totalement vide, métaphore du grand néant où avait atterri l’architecture belge à la fin des années 1970. C’est précisément dans ce vide qu’A+ s’attelle alors à mener le débat sur l’architecture en présentant le travail de vingt jeunes architectes sous l’intitulé « Quelle place pour la jeune architecture ? ».

A+ a vu le jour dans les années 1970, période riche en contrastes où alternent l’espoir et le désespoir. La crise pétrolière déstabilise l’État-providence, le rapport du Club de Rome met en garde quant aux limites de la croissance, et l’architecture semble à plus d’un titre être la victime des crises successives. La dure réalité du stop-béton, la baisse du nombre de participants aux concours d’architecture et un vide remarquable caractérisent alors le débat autour de l’architecture. Il est donc frappant que le jeune magazine, avec l’aide du réseau de correspondants qu’il a constitué, choisisse de mettre en lumière le travail de jeunes architectes. Leur foi dans une société possible est source d’inspiration. Les projets rassemblés « reflètent les tendances actuelles de la recherche architecturale […]. La réflexion d’une part et l’expression d’autre part ont en effet un rôle important à jouer pour l’assainissement et la progression de l’architecture», écrivaient Jan Bruggemans et Danielle Neys, rédacteurs en chef de l’époque.

Quelle place pour la jeune architecture? D’abord et avant tout, elle se trouve dans un habitat de qualité. Que ce soit pour un ami, un membre de la famille ou pour l’architecte en personne, l’habitation individuelle était à l’époque (et encore aujourd’hui?) la première réalisation des jeunes architectes. Les 14 projets présentés se lisent comme des tentatives de créer de l’architecture dans le cadre restreint de l’habitat. On y trouve des variations sur le toit en pente d’André Rouelle, la relecture du plan classique de Pol Imbrechts et Luke Vanhooren, ou encore le jeu des diagonales, de la symétrie et d’autres compositions de plans de Jan Bruggemans.

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Quelle place pour la jeune architecture? De Keerbergen à Neerijse, de Mons à Waterloo, de Courcelles à Kalmthout : les quatorze projets de ces jeunes architectes se pavanent fièrement sur quelques terrains d’une Belgique morcelée. Sur des terrains parfois en légère déclivité, avec tantôt un bois à l’arrière, tantôt une vue dégagée ou un voisinage dense, ils témoignent de la difficulté avec laquelle l’architecture des années 1970 a contribué à l’expansion de la nébuleuse urbaine. Que ce soit par une orientation particulière de l’implantation, par une relation intense avec la nature ou encore en enterrant une partie de l’habitation ou en la construisant contre une pente, les jeunes architectes concevaient « des objets qui s’affirment dans le contexte environnant […]. Une autre façon de s’intégrer». Dans de nombreux cas, le jeu des quatre façades individuelles est caractéristique de leurs concepteurs: symétrie postmoderne et composition classique pour Robbrecht en Daem à Courtrai, façade expressive pour Luc Matthyssen à Brasschaat et jeu de volumes pour Christian Brevers et André Vigneron à Arlon.

Quelle place pour la jeune architecture? Les vingt architectes explorent les nombreuses formes d’une écriture propre. Ils étudient les «points d’accroche avec ce qui fait la particularité de l’architecture », l’un sur la base d’un programme, l’autre en passant par l’expérimentation spatiale. A+ distingue deux courants dans la production architecturale de ces jeunes architectes. D’une part, une tendance «pro-culturelle», avec des projets affichant une forme affirmée où l’exubérance, la fierté, l’ironie, la couleur et la végétation trouvent une place en tant qu’éléments architecturaux à part entière : « Une architecture qui se dépasse elle-même et arrive à tenir un discours symbolique dont les idées sont nées d’un dialogue avec le client. Une architecture qui s’aligne sur notre propre culture historique […], unique et limitée dans le temps, mais [qui] offre l’avantage d’affirmer clairement les points de vue des auteurs.» Et, d’autre part, une «architecture intellectuelle». Ces projets possèdent davantage une forme universelle de quête d’espaces idéaux, où les habitants peuvent eux-mêmes imprimer leur cachet personnel. Ces observations semblent toujours d’actualité. Parmi les nombreux noms publiés à l’époque, seuls quelques-uns nous sont aujourd’hui encore familiers. La plupart semblent avoir été engloutis dans les méandres de l’histoire.

En 1982, A+ n’avait volontairement pas opté pour une mélopée sur la pénibilité de la pratique architecturale, pour témoigner plutôt de la puissance de l’architecture précisément en présentant le travail de jeunes architectes. La revue précédait en cela une série d’initiatives similaires telles que les manifestations autour de jeunes architectes organisées par l’ASBL Stichting Architectuurmuseum qui, à partir de 1984, mettra en évidence le travail de Bernard Baines, Jan Bruggemans, Jo Crepain, Eugeen Liebaut, Paul Robbrecht-Hilde Daem « en partant de la prise de conscience du vide existant et de la qualité présente ».1 Ou encore, l’exposition «Mein Erstes Haus » à deSingel en 1994, où Katrien Vandermarliere, Marc Dubois et Christian Kieckens avaient compilé une décennie de travail d’une jeune génération sur le thème de l’habitation individuelle. Au cours de cette même période, dans son livre intitulé Architecture contemporaine en Belgique, Geert Bekaert parlait des «jeunes et beaux dieux» et de leurs projets révolutionnaires… d’habitat individuel.

(…)

Merci à Marie-Cécile Guyaux pour la passionnante discussion préalable à ce texte.

1  Voir notamment Sofie De Caigny, Katrien Vandermarliere, « More than Ponctual Interventions. Cultural Events, Competitions and Public Debate as Impetus for Architecture Culture in Flanders, 1974–2000 », dans Caroline Voet, Katrien Vandermarliere, Sofie De Caigny, Lara Schrijver (réd.), Autonomous Architecture in Flanders (Leuven : Leuven University Press, 2016), 49–61.

 

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