Publié le 20.05.2021 | Texte: Véronique Patteeuw | Photos: Filip Dujardin

La 17e exposition internationale d’architecture de Venise réunit cette année le monde de l’architecture sous la bannière « How will we live together? ». En ces temps de pandémie, de crise climatique et de transition, dans leur pavillon des Giardini, de nombreux pays vont indubitablement miser sur les processus, les flux ou les diagrammes, et reléguer l’architecture à un énième rôle secondaire. C’est ce que veut résolument éviter le pavillon belge. Au risque d’être perçu comme étant en décalage complet, en période de shifting positions – c’est-à-dire de changement de paradigme – il tient un éloquent plaidoyer en faveur de l’architecture.

En 1980 fut inaugurée la toute première exposition internationale d’architecture de Venise, avec à l’Arsenal la désormais célèbre Strada Novissima, rue imaginaire constituée de vingt façades conçues par autant de bureaux d’architectes. Les façades célébraient à l’époque « La Presenza del Passato », mettant à l’honneur un intérêt postmoderne pour les colonnes et frontons classiques, embrassant les ornements figuratifs et jouant joyeusement la carte de la couleur et de l’ironie. Vingt ans plus tard, le pavillon belge fait un clin d’œil à cette Strada Novissima. En collaboration avec le Vlaams Architectuurinstituut, Bovenbouw architectuur y a réalisé Composite Presence. Le visiteur ne parcourt plus une rue imaginaire, mais un paysage urbanisé constitué de 50 maquettes créées par 45 bureaux. Réalisées à l’échelle 7/100e, ces maquettes affichent une certaine démesure. On n’y surplombe pas un paysage de toitures, mais on peut en revanche littéralement regarder à l’intérieur des multiples habitations, bâtiments administratifs, centres culturels, bureaux, archives et infrastructures sportives qui, tel un gigantesque puzzle en trois dimensions, ont été rassemblés dans le pavillon belge. L’échelle de certains projets a été modifiée, d’autres ont été inversés en miroir ou tronqués pour s’insérer dans le nouveau paysage et y définir les contours des rues, places et espaces ouverts. Le bureau de police de De Smet Vermeulen se trouve par exemple à côté de l’immeuble de bureaux et d’habitation Bailleul de Marie-José Van Hee, et la bibliothèque d’Office Kersten Geers David Van Severen entre en dialogue avec une maison de rangée du 19e siècle transformée par UEA. La plasticité des maquettes confère à l’exposition une dimension sensorielle. Revêtements de façade, menuiseries et intérieurs ont été réalisés en multiplex lasuré ou en MDF peint, avec çà et là une finition au crayon, au papier abrasif ou à la fraiseuse. Ils rendent tangibles les nombreuses variations de l’architecture belge et repoussent subtilement les tentatives internationales de confiner l’architecture de notre pays dans une seule case.

Ce n’est toutefois qu’un des nombreux aspects de l’exposition. La question de l’importance de l’architecture et de l’urbanisme dans ce paysage urbain hétérogène est bien plus passionnante. « Quelle quantité de structure faut-il pour obtenir une bonne architecture ? », se demande à juste titre le commissaire Dirk Somers. En Flandre, l’urbanisme est moins strict que dans des villes comme Paris, Zurich ou Amsterdam où l’architecte est souvent confronté à des terrains trop étroits, des sites trop profonds, des parcelles d’angle difficiles ou à la transformation de zones intérieures. Au-delà de compliquer le travail du concepteur, ce contexte moins conditionné le rend également plus intéressant : « il amène de l’énergie et du plaisir sur la planche à dessin ». Composite Presence témoigne à la fois de ces conditions et de la qualité architecturale qui en résulte. Ce faisant, l’exposition présente en quelque sorte une ville analogue : extirpés un à un de leur contexte, les 50 projets d’architecture portent toutefois les traces du travail de conception qui a induit un contexte qui n’a rien d’une évidence. Ensemble, ils illustrent une nouvelle ville (idéale). En 1973, Aldo Rossi avait demandé à son étudiant Arduino Cantafora de peindre une ville analogue de ce genre pour la Triennale de Milan. « En déplaçant les monuments dans le tableau, on voit apparaître une ville qu’on reconnaît, même si ce lieu est uniquement composé de références architectoniques », expliquait Rossi. Mais là où la « Citta Analoga » de Rossi insistait plutôt sur l’importance de l’histoire de l’architecture, la ville analogue composée par Bovenbouw est un plaidoyer en faveur de l’architecture tout court. Elle traduit en outre le riche champ de tension entre autonomie et servilité de l’architecture. En effet, lorsque l’architecture ajoute quelque chose à un monde qui, en réalité, est déjà complet, ne s’agit-il pas d’une vision affirmée ? Et les bâtiments affichant une certaine assurance ne sont-ils pas précisément ceux qui possèdent suffisamment de générosité et de dynamisme pour assumer une responsabilité sociétale ? En des temps où chaque débat sur l’architecture risque de s’enliser dans des practices of change, le pavillon belge plaide pour donner du corps aux défis actuels et les faire atterrir dans l’architecture. Dans une biennale marquée par la pandémie, au-delà d’être rafraîchissant, c’est éminemment précieux.

EXPO
17th International Architecture Biennale
How Will We Live Together?
When 22 May – 21 November 2021
Where City of Venice
Curator Hashim Sarkis
Info and tickets labiennale.org

Composite Presence
Where Belgian Pavilion, Giardini
Commissioner Flanders Architecture Institute
Curator Bovenbouw
Exhibitors 360, AgwA – Ferrière, Broekx-Schiepers, De Vylder Vinck Taillieu, Els Claessens en Tania Vandenbussche, Bart Dehaene, Arjaan De Feyter, Baeten Hylebos, Blaf, Bovenbouw, Bulk, Collectief Noord, Coussée & Goris, De Smet Vermeulen, Dhooge & Meganck, Dierendonckblancke, DMT, dmvA, Eagles of Architecture, Felt, Frederic Vandoninck Wouter Willems, Graux & Baeyens, Hub, Marie-José Van Hee, Meta, Murmuur, Office Kersten Geers David Van Severen, Ono, Poot, Puls, Raamwerk, Robbrecht en Daem, Schenk Hattori, Stéphane Beel, Studiolo – Koen Matthys, Tim Peeters, Tim Rogge, Tom Thys, Trans, Ura Yves Malysse Kiki Verbeeck, Van Gelder Tilleman, Vermeiren – De Coster, Vers.A
Info vai.be

Other Belgian participants
Across Borders
Where Central Pavilion, Giardini
Curator Dogma (Martino Tattara, Pier Vittorio Aureli)

Planet of People
Where Lithuanian Pavilion, Calle de la Celestia
Curator Jan Boelen
Exhibitor Julijonas Urbonas

BOOK
Composite Presence
Editors Sofie De Caigny, Dirk Somers, Maarten Van Den Driessche
Authors Sofie De Caigny, Irina Davidovici, Maarten Van Den Driessche, André Loeckx, Leo Van Broeck, Christian Rapp, Kristiaan Borret, Peter Vanden Abeele, Stefan Devoldere, Edith Wouters, Katrien Embrechts, Paul Vermeulen, Louis De Mey
Graphic Design Joris Kritis with Terry Kritis
Language Dutch and English
Publisher Flanders Architecture Institute, 2021
ISBN 9789492567208
Price 29,50€
Info vai.be

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