Publié le 07.02.2023 | Texte: André Rouelle, Xavier Van Rooijen | Photos: GAR

Le 26 décembre dernier, Jacques Gillet est décédé à l’âge de 91 ans. Architecte majeur du 20e siècle en Belgique, il aborde différentes formes d’écriture artistique comme l’architecture moderne, le structuralisme ou l’architecture organique et sera d’une grande influence sur l’architecture contemporaine de la fin de siècle dernier.

Dans les années 1960, la cité radieuse s’agite sous l’onde de choc des mouvements de contestation. Dans ce contexte, deux visions architecturales s’opposent : l’interprétation des préceptes de l’architecture moderne des années 1930 – le logement pour le plus grand nombre, bon marché et construit rapidement – et une ouverture vers des pratiques conforme à son temps, plus à l’écoute des gens – l’habitat individualisé, personnalisé.

Jacques Gillet aura connu ces deux approches. Sensible aux propos de son mentor Bruce Goff, il s’engagera dans une architecture tournée vers l’individu, libérée de tout dogmatisme, une architecture pensée comme un art en soi.

Né en 1931 sur les quais de Meuse à Liège dans une famille bourgeoise, il quittera rapidement une formation scientifique en s’inscrivant à l’Académie des Beaux-Arts où il obtient un diplôme d’architecte en 1956.

Sa carrière est couronnée de plusieurs récompenses – Prix du Marbre (1953), Grand Prix de la Ville de Liège (1957), Prix de Rome (1963) – et auréolée de plusieurs participations à des concours d’envergure – Concours d’idées organisé par la Fédération des architectes danois (1961), Concours Cité-Parc-Anvers organisé par l’Institut national du logement (1961).

Ses premières œuvres émaillent les bords du fleuve liégeois et arborent une allure résolument moderne. Ce sont des immeubles de rapport avec un vocabulaire simple : une structure poteau-poutre en béton armé, une façade légère et quelques velléités de liberté dans les halls d’accueil où des œuvres d’artistes sont intégrées aux espaces.

En juin 1963, il part aux Etats-Unis pour un voyage que se révèlera initiatique. La rencontre de Bruce Goff lui fera voir l’architecture autrement. Le choc est tel qu’il tourne le dos à sa démarche antérieure. L’esprit créatif de Jacques Gillet s’ouvre à de nouvelles pratiques et sa démarche s’éloigne de l’application studieuse des images modernistes pour aller vers des conceptions fondées sur le vécu des espaces et la manière dont la forme architecturale est perçue comme réalité vivante et libre.

Quelques œuvres d’exception révèlent le potentiel de l’architecte. Le Centre de Radiologie Euratom (1963) sur le site de l’université au Sart Tilman au tempérament brutaliste énonce une première avancée, mais c’est avec les maisons Noël (1961), Pirotte et Lambotte (1966) que le profond changement s’opère, la conception de l’espace change, se libère. Celle-ci se cristallise avec la construction de la maison-sculpture dont les premières discussions avec son frère, sont entamées dès 1963, en vue de lui construire une maison à Angleur. Ce sera une aventure sur plusieurs années, une collaboration avec le sculpteur Félix Roulin et l’ingénieur René Greisch. Sur le chantier, le projet évolue sans cesse et des étudiants participent à l’élaboration-construction de l’œuvre. Avec ce projet, il met en œuvre les notions de croissance et de changement qu’il avait expérimenté dans l’architecture organique américaine.

Après l’aventure d’Angleur, Jacques Gillet prend progressivement des distances avec la pratique architecturale et se consacre à l’enseignement. D’octobre 1970 à juin 1972, il effectue un séjour à l’Unité Pédagogique d’Architecture de Rennes. Ce séjour lui donne l’occasion d’asseoir sa pensée en tant que pédagogue. Jacques Gillet veut s’adresser à tous ceux qui ont besoin de s’exprimer, il concrétise son besoin d’écriture en multipliant les textes, principalement des écrits à la main couchés sur toute sorte de supports. Dans un texte qu’il intitule les tribulations d’un architagogue, il dévoile une part intime de lui-même, « cette émotion du passionné, auquel je tends, que je deviens dans mon travail créatif, où le message reçu, assimilé, distillé et sourd doucement, où un long plan d’action me tire silencieusement en avant, concentré sur une solitude agissante où je n’ai plus besoin de communiquer et où cette chose qui sort de moi, venant du monde, parle à son tour. » Il se fait « l’animateur d’un champ pédagogique » où expression, caractère, communication, composition sont les piliers de la démarche qui guette et provoque « ce qui se passe… le vécu. » Au cours du second semestre de l’année 1972, la vie à l’UP de Rennes, c’est, écrit Jacques Gillet, comme s’il n’y avait « pas d’école, sans organisation préalable, sans directivité, ni “corrections”, ni jugement, sans autre contrôle que le simple fait de ma présence et de mon action personnelle. »

Les textes de l’architecture sauvage et de l’architecture fantastique proposent de considérer l’architecture et sa matière comme une architecture « à sentir, subjectivement », à construire soi-même tel le bricolage in situ dont le but est d’émerveiller l’habitant en lui proposant une architecture non standardisée, mais singulière, cherchant à donner forme aux expériences spatiales issues de son enfance personnelle, marquées par des voyages en Bretagne et plus tard en Dordogne.

Dès son retour à Liège, il enseigne à l’Institut d’architecture de la Ville. Il s’applique à poursuivre une démarche où le vocabulaire se met au service du regard pédagogique. Les différents travaux de recherches sont commentés. Avec l’enseignement de Jacques Gillet, chaque étudiant adopte une démarche personnelle au service d’un développement qui s’initie de manière intuitive pour se consolider progressivement dans une concrétisation. Une « machine à explorer l’espace-temps est à l’œuvre. » (Architecture organique : Recherches et esquisses). Il cesse ses activités d’enseignant en 1996 et jusqu’à ses derniers textes, l’architecte enseignant défend l’idée que l’art est dans l’architecture et que c’est à cet endroit que l’architecture trouve sa vérité.

Jacques Gillet est témoin et acteur de son temps, ses actions et productions attestent de son acuité intellectuelle et de sa grande sensibilité. Il a fréquenté l’architecture moderne, le structuralisme, l’architecture organique.

Durant sa carrière, Jacques Gillet aborde différentes formes d’écriture artistique. Très tôt la peinture et la sculpture, ensuite la musique, la poésie et le pamphlet. Et déjà en 1965, il affirme que « la contrainte la plus forte, la seule véritable contrainte de l’architecte, c’est la maîtrise de la beauté. »

Une exposition, livre et film ont été consacrés fin 2022 à l’œuvre de Jacques Gillet dans le cadre de Archidoc.

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